[parislinguists] Appel à contributions Le geste emblème politique

Emilie Née nee.emilie@gmail.com [parislinguists] parislinguists-noreply at yahoogroupes.fr
Sun Dec 14 20:31:12 UTC 2014


*Mots. Les langages du politique*

ENS-Editions

*Appel à contributions pour un dossier *

*publiable en mars 2016 *





*Le geste emblème politique*





La revue *Mots. Les langages du politique* souhaite publier en mars 2016 un
dossier consacré au geste en tant qu’élément non discursif de langage,
d’expression et de communication politiques. « Mouvement du corps […]
visant à exprimer quelque chose » (*Le Petit Robert*, 1982, p. 865), le
geste visé ici n’est pas celui des études sur la « gestuelle » des
personnalités politiques ni celui, coverbal, qui accompagne la parole (cf.
les travaux de G. Calbris) ou se substitue au message verbal dans une
interaction (le geste dit « emblématique » ou « quasi-linguistique »,
marqué culturellement et compréhensible sans la parole).

La gestualité qui retient notre attention s’apparente à ce que les auteurs
de l’ouvrage *Des gestes en politique… *(Ambroise-Rendu, D’Almeida et
Edelman, 2006, p. 11) appellent les « gestiques » (« ces gestes considérés
comme moyens délibérés et organisés d’expression, sorte de langage
possédant sa grammaire propre »). Ce sont par conséquent des gestes
conscients, volontaires, intentionnels, démonstratifs, revendiqués,
conventionnels, appris, repris, ritualisés, et qui, effectués
individuellement ou collectivement, dans une mise en scène ou une forme de
théâtralité, permettent une expression militante, marquent une identité ou
affirment une appartenance à un groupe ou à une communauté ; ceux qui
constituent des signes visibles, ostentatoires de ralliement, d’engagement
ou de reconnaissance, disent une cause, expriment une allégeance, appellent
à la mobilisation ou servent à résister ou à protester. Généralement dotés
d’une forte charge symbolique ou émotionnelle, ces gestes identitaires
traduisent l’incorporation d’une discipline et portent souvent la marque
d’une codification.

On pense en tout premier lieu à des gestes de protestation ou de salut,
comme le poing levé fermé utilisé par les communistes allemands à partir de
la République de Weimar (Vergnon, 2005), signe opposé au bras levé et à la
main tendue des fascistes, puis des nazis ; aux gestes de victoire (index
et majeur en V, paume vers l’avant) ou aux gestes d’allégeance, comme le
serment politique – celui du jeu de Paume en 1789 (Duccini, 2006).

Pour n’en retenir que quelques-uns, ces gestes rituels font l’objet
d’appropriations et d’usages différents, connaissent des variantes, des
évolutions, et suscitent des controverses.

   - Le lever du poing, accaparé par les mouvements de gauche dans l’Europe
   des années trente, est aussi adopté par les *Black Panthers* aux
   Etats-Unis dans les années 1960, par les athlètes noirs américains
   victorieux aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968, par les manifestants (et
   repris par les affiches) de mai 68. Le geste, souvent associé au combat de
   Nelson Mandela, est aussi apparu, entre autres, incrusté dans l’Etoile de
   David – dans le logo du parti sioniste Kach, interdit dans les années 1990
   en Israël, mais aussi lors des récentes révolutions arabes et il a été
   observé à l’occasion de la protestation du Mouvement *Occupy Wall Street*
   en 2011[1] <https://pod51036.outlook.com/owa/#_ftn1>.
   - Le salut nazi, inspiré par le bras tendu des fascistes italiens, a
   connu des formes différentes : Hitler salue avec le bras replié, paume vers
   le haut, les troupes défilent bras tendus, les néo-nazis peuvent écarter
   les doigts pour échapper à l’interdiction légale de ce geste en Allemagne
   depuis 1947. Les ressemblances ou distinctions entre « salut romain »,
   salut olympique et saluts fascistes méritent d’être interrogées : on sait
   que les Nazis ont entretenu la confusion entre saluts « allemand » et
   olympique aux J.O. de Berlin en 1936.
   - Le V de la victoire, lancé par l’ancien ministre belge Victor de
   Laveleye depuis Londres en 1941, pour s’opposer à l’occupant, a été
   popularisé par Winston Churchill, comme par Charles de Gaulle : bras pliés
   à la Libération (cf. Caradec, p. 143) ou tendus (en 1958, le geste
   symbolisant aussi le V de Vème République). Il a été utilisé, entre autres,
   tant par Jacques Chirac lors de la campagne législative de 1986 que par
   Lionel Jospin pendant la présidentielle de 1995 ou par Jean-Marie Le Pen
   dans ses meetings. Geste des militants du parti victorieux, il est aussi
   celui de femmes irakiennes sortant des bureaux de vote après les premières
   élections libres en 2005, mais aussi celui des nationalistes flamands
   aujourd’hui[2] <https://pod51036.outlook.com/owa/#_ftn2>, des foules
   libérées en 1944, du sportif vainqueur et de ses supporters, comme des
   motards se croisant sur la route…

C’est donc bien le geste « militant » lui-même, ses usages, ses
interprétations, ses variations et les commentaires qu’il suscite, qui
retiennent l’attention dans ce dossier, plutôt que les actes individuels,
éphémères, isolés, de tel acteur politique, même s’ils sont devenus
« symboliques » : comme la poignée de main de Valéry Giscard d’Estaing à un
détenu de la prison Saint-Paul en 1974, la main dans la main de François
Mitterrand et Helmut Kohl à Verdun en 1989, la gifle médiatisée de François
Bayrou à un enfant lui faisant les poches pendant la campagne
présidentielle de 2007, ou le bras d’honneur de Gérard Longuet sur *Public
Sénat* en 2012.

On retiendra bien entendu des gestes dotés d’un sens politique, sans
négliger leur polysémie, le fait qu’ils puissent avoir aussi une
signification dans d’autres domaines, religieux, idéologique, militaire,
sportif, dans des contextes culturels différents ou dans des groupes
sociaux spécifiques. On s’intéressera donc particulièrement aux variations
de ces gestes dans le temps et l’espace, à leurs origines réelles ou
supposées, aux télescopages ou amalgames sémiotiques (qui peuvent déboucher
sur l’abandon d’un geste par une organisation, comme pour le mouvement
olympique après-guerre), aux formes de détournement ou de parodie des
gestes de l’adversaire, mais aussi, au-delà des gestes en eux-mêmes, aux
commentaires, gloses et controverses auxquels leur usage donne lieu. On
pense par exemple à des gestes politiques faisant polémique (comme
la « quenelle » de Dieudonné en 2013[3]
<https://pod51036.outlook.com/owa/#_ftn3>) ou à d’autres gestes émergents,
comme celui censé signifier le changement (mouvements de va-et-vient des
avant-bras, les mains se croisant à l’horizontale devant la poitrine) que
tente de populariser le clip de campagne de François Hollande en 2012[4]
<https://pod51036.outlook.com/owa/#_ftn4>. Ou bien à l’index dressé
verticalement, doté de multiples significations (Caradec, p. 238 s.), un
geste rituel accompagnant la profession de foi musulmane pour souligner
l’unicité d’Allah, abondamment repris en 2014 sur les réseaux sociaux par
les combattants et sympathisants de l’Etat islamique[5]
<https://pod51036.outlook.com/owa/#_ftn5>. Ou encore les trois
doigts centraux levés vers le haut, pouce et auriculaire liés, en signe de
protestation contre la junte militaire et le coup d’Etat du 22 mai 2014 en
Thaïlande[6] <https://pod51036.outlook.com/owa/#_ftn6>. Ou enfin les quatre
doigts (pouce plié) brandis par les partisans d’Erdogan en Turquie[7]
<https://pod51036.outlook.com/owa/#_ftn7>.

On s’attachera spécialement aux interprétations (plus ou moins
« autorisées ») de ce que « veulent dire » ces gestes et ceux qui les font
[8] <https://pod51036.outlook.com/owa/#_ftn8>, aux luttes politiques par
gestes interposés[9] <https://pod51036.outlook.com/owa/#_ftn9>, mais aussi
aux éventuels processus de fabrication et de codification des gestes par
les organisations (description du « bon » geste, consignes données aux
militants, dans les règlements intérieurs notamment)  et bien sûr aux
conditions de diffusion de ces signes : l’évolution des supports
médiatiques a donné au geste une importance croissante dans la production
de sens politique (d’Almeida, 2006, p. 156). Tout comme le développement de
la presse illustrée et du reportage photographique dans les années 1920-30
a contribué à la popularisation du poing levé, celui de la télévision et du
cinéma (les opposants thaïlandais empruntent leur signe de révolte au
soulèvement populaire fictif de la série et film à succès *The Hunger Games*)
puis d’Internet, avec les sites de partage de vidéos en ligne et les
« selfies », utilisés notamment par les djihadistes, donne aux images et au
geste une portée à la fois personnelle (affirmation de soi et de son camp)
et « mondialisée ». Les combinaisons des gestes entre eux (le salut nazi
avec le claquement des talons) ou avec d’autres signes, par exemple les
chants ou les slogans (le poing levé avec l’Internationale ou les cris
« Rotfront ! » ou « Freiheit ! »), mais aussi leur reprise dans les logos
des organisations (comme la paume de la main du mouvement « Touche pas à
mon pote »), méritent enfin d’être analysées.





*Bibliographie provisoire*



Ambroise-Rendu (Anne-Claude), D’Almeida (Fabrice), Edelman (Nicole) (dir.),
2006, *Des gestes en histoire. Formes et significations des gestualités
médicale, guerrière et politique*, Seli Arslan.

Burrin (Philippe), 1986, « Poings levés et bras tendus, la contagion des
symboles au temps du Front populaire », *Vingtième siècle. Revue d’histoire*,
11, juillet-septembre, p. 5-20.

Caradec (François), 2005, *Dictionnaire des gestes : Attitudes et
mouvements expressifs en usage dans le monde entier*, Fayard.

Cépède (Frédéric), 2006, « Les gestes de victoire des dirigeants
partisans : l’exemple des socialistes », in *Des gestes en histoire…*, op.
cité, p. 194-208.

Corbin Alain, Courtine Jean-Jacques, Vigarello Georges (dir.), 2005, *Histoire
du corps*, Paris, Le Seuil.

D’Almeida (Fabrice), 2006, « L’affirmation du geste dans le langage
politique au XXème siècle », in *Des gestes en histoire…*, op. cité, p.
156-167.

Duccini (Hélène), 2006, « Le serment en France et ses avatars de 1789 à
2000 », in *Des gestes en histoire…*, op. cité, p. 168-183.

Gaucher (Charles), Candau (Joël), Halloy (Arnaud), 2012, « Gestes et
cultures, un état des lieux », * Anthropologie et Sociétés*,
« L’Anthropologie du Geste », vol. 36, 3, p. 9-26.

Jousse (Marcel), 1974, *L’Anthropologie du Geste,*Paris, Gallimard (plus
particulièrement *Le Parlant, la Parole et le souffle*, p. 687-701).

Korff (Gottfried), 1985, « Rote Fahnen und Geballte Faust. Zur Symbolik des
Arbeiterbewegung in der Weimarer Republik », in *Transformationen des
Arbeiterkultur*, Marburg, Jonas, p. 86-107.

Mauss (Marcel), 2010 [1936], *Sociologie et anthropologie*, Sixième
partie : « Les techniques du corps » Paris, Quadrige/Presses Universitaires
de France, p. 365-386.

Vergnon (Gilles), 2005, «"Le poing levé", du rite soldatique au rite de
masse. Jalons pour l’histoire d’un rite politique » *Le Mouvement Social*,
3, no 212, p. 77-91 (en ligne sur cairn.info :
www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2005-3-page-77.htm)

Schmitt (Jean-Claude), 1990, *La raison des gestes dans l’Occident médiéval*,
Paris, Gallimard.



 *Modalités de soumission *


 Les contributions pourront prendre la forme d’articles (maximum 40 000
signes tout compris) ou de notes de recherche (maximum 15 000 signes tout
compris). *Les auteurs devront soumettre aux deux coordinateurs, avant le *
*1**er** mars 2015**, un avant-projet* (3 000 signes maximum tout compris),
dont l’acceptation vaudra encouragement mais non pas engagement de
publication. *Les contributions devront être proposées aux deux
coordinateurs avant le **1**er** juin 2015*. Conformément aux règles
habituelles de la revue, elles seront préalablement examinées par les
coordinateurs du dossier, puis soumises à l’évaluation doublement anonyme
de trois lecteurs français ou étrangers de différentes disciplines. Les
réponses aux propositions de contributions seront données à leurs auteurs
au plus tard *en octobre 2015*, après délibération du Comité éditorial. Les
références bibliographiques devront figurer en fin d’article et être
mentionnées dans le corps du texte sous la forme : (Machin, 1983). L’usage
des caractères italiques sera réservé aux mots et expressions cités en tant
que tels, et les guillemets aux énoncés dûment attribués à un auteur, ou à
la glose d’un syntagme. *Un résumé de cinq lignes et cinq mots-clé*s seront
joints à l’article, en français et si possible en anglais et en espagnol.



 *Coordination du dossier *



*Denis Barbet*, UMR Triangle

denis.barbet at sciencespo-lyon.fr

*Hugues Constantin de Chanay*, UMR ICAR

huguesconstantindechanay at yahoo.fr



 [1] <https://pod51036.outlook.com/owa/#_ftnref1> Cassely (Jean-Laurent),
« D’où vient le symbole du poing levé ? », 10 décembre 2013,

<http://www.slate.fr/story/80975/symbole-poing-leve>

[2] <https://pod51036.outlook.com/owa/#_ftnref2> C’est notamment le V de
Vlaanderen (Flandre) : cf. Riché (Pascal), «De la politisation des doigts :
jeux de mains, jeux de vilains », 11 octobre 2014,<
http://rue89.nouvelobs.com/2014/10/11/politisation-doigts-jeux-mains-jeux-vilains-255409
>

[3] <https://pod51036.outlook.com/owa/#_ftnref3> Voir

<
http://www.lemonde.fr/politique/article/2013/12/11/quenelle-comment-un-geste-provocateur-est-devenu-un-embleme_3528089_823448.html
>

[4] <https://pod51036.outlook.com/owa/#_ftnref4> Voir

<
http://www.dailymotion.com/video/xnybda_le-changement-c-est-maintenant-le-signe-de-ralliement_news
>

[5] <https://pod51036.outlook.com/owa/#_ftnref5> Cf. Gendron (Guillaume),
« Pourquoi les jihadistes lèvent-ils l’index vers le ciel ? », 13 août
2014, <
http://www.liberation.fr/monde/2014/08/13/pourquoi-les-jihadistes-levent-ils-l-index-vers-le-ciel_1079820
> <https://pod51036.outlook.com/owa/#_ftnref7>

[7] <https://pod51036.outlook.com/owa/#_ftnref7>* Ibid.*

[8] <https://pod51036.outlook.com/owa/#_ftnref8> Les trois doigts levés en
Thaïlande, par exemple, ont été interprétés, dans une lecture
franco-centrée, comme une référence à la devise républicaine "Liberté,
Egalité, Fraternité", soit comme signifiant "Liberté, élection, démocratie"…

[9] <https://pod51036.outlook.com/owa/#_ftnref9> Par exemple, l’un des
leaders de l’extrême droite collaborationniste française défend le bras
droit levé vers le ciel, comme « une part du patrimoine indivis de la
civilisation », tout en rappelant que l’emploi dans l’Entre-deux-guerres
de« la main ouverte brandie, répondait à la main fermée, au poing
haineusement tendu, des marxistes de toutes obédiences » (voir le texte de
Pierre Sidos, 29 mars 2011, <
http://pierresidos.fr/2014/04/11/le-salut-a-la-romaine-ou-olympique/>)
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