13.60, All: Obituary, Maurice Gross
LINGUIST List
linguist at linguistlist.org
Fri Jan 11 18:03:02 UTC 2002
LINGUIST List: Vol-13-60. Fri Jan 11 2002. ISSN: 1068-4875.
Subject: 13.60, All: Obituary, Maurice Gross
Moderators: Anthony Aristar, Wayne State U.<aristar at linguistlist.org>
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Reviews (reviews at linguistlist.org):
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Editor for this issue: Dina Kapetangianni <dina at linguistlist.org>
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1)
Date: Mon, 31 Dec 2001 01:36:12 +0100
From: "Amr IBRAHIM" <amr.ibrahim1 at libertysurf.fr>
Subject: Obituary, Maurice Gross
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Date: Mon, 31 Dec 2001 01:36:12 +0100
From: "Amr IBRAHIM" <amr.ibrahim1 at libertysurf.fr>
Subject: Obituary, Maurice Gross
I would like to post a modest token for a prominent linguist who passed away
ont the 8th of december 2001. His death was announced on Linguist
Vol-12-3078 - A paper by Jean-Claude Chevalier was published in the thursday
13th of december edition of the daily "Le Monde". - Those who do not read
french will find a beautifull testimony from Ray Dougherty of what Maurice
was for many of us in France, in the States and elsewhere at
www.nyu.edu\pages\linguistics\kaleidoscope
<http://www.nyu.edu/pages/linguistics/kaleidoscope>
Maurice Gross est mort samedi 8 décembre 2001, des suites d'un cancer. Il
n'avait que 67 ans. Il a beaucoup souffert. Deux semaines plus tôt, alors
qu'il était encore hospitalisé, je l'ai appelé pour le voir. Il m'a dit que
ce serait trop dur et qu'il valait mieux que je me contente de prendre des
nouvelles dans l'attente d'une rémission. C'est le terme qu'il a utilisé.
Dieu n'aura pas voulu nous accorder le plaisir de le revoir montrer,
démonter et remonter, comme ces jouets familiers dont certains enfants ne se
lassent jamais, l'ensemble des mécanismes du langage. Il le faisait toujours
à travers une remarque tellement anodine qu'on pouvait au prime abord se
demander s'il était bien sérieux. Puis, au fil des minutes c'est souvent à
une véritable fête de l'esprit qu'il nous conviait. L'explication s'imposait
avec un tel naturel qu'on ne se pardonnait pas de ne pas y avoir pensé plus
tôt. Un regret vite compensé par le sentiment qu'à moins d'avoir l'esprit
très paresseux, nous pouvions nous aussi, à la seule condition, comme il
disait, de nous équiper d'un crayon et d'une feuille de papier et de bien
nous dire que l'esprit le plus rapide ne va pas plus vite qu'il ne se
transcrit, trouver tout seuls la solution du problème suivant.
Maurice a passé sa vie à séparer le grain de l'ivraie, à démêler
la propriété dont le changement fait basculer l'ensemble, de celles, parfois
très séduisantes et tout à fait propices à de brillants discours
académiques, qui ne sont que de faux semblants propres à conforter le sens
commun, l'effrayant "bon sens", dans sa suffisance terroriste. Je ne l'ai
jamais entendu faire une remarque hors de propos. Je ne l'ai jamais entendu
parler "à côté", parler "pour se faire valoir" ou pour traiter de questions
"personnelles". Dans un siècle d'extrême bavardage et d'infinies violences
physiques et rhétoriques, il aura accompli le tour de force de ne jamais
être "hors sujet" et de n'avoir de violence que celle qui consiste à nous
mettre sous les yeux ce que l'on refuse de voir. Comme si de la justesse du
propos, de sa précision et de sa cohérence avec le contexte de son
énonciation et la situation qui l'a produit, dépendaient son honneur de
professionnel et sa dignité d'homme.
Mais cette exactitude foncière que l'on rencontre surtout chez
ceux qui sont imprégnés à la fois par une bonne formation mathématique et
une longue pratique de l'expérimentation dans une science dure, n'allait pas
sans une immense culture dans tous les domaines de la vraie connaissance. On
s'en rendait vite compte quand il arrivait qu'on lui pose une question un
peu trop générale ou apparemment marginale par rapport à son champ
d'expérimentation. Il savait alors situer, avec la même exactitude et de
manière irrévocable pour son interlocuteur, ce qu'il faisait et même ce
qu'il était, parmi les questions, les idées, les courants et les "vérités"
que ses contemporains considéraient à tort ou à raison comme essentielles ou
prioritaires. Il ne s'est jamais complu dans le jargon épistémologique qui
sert de paravent à tant d'intellectuels et d'universitaires pour masquer,
comme dirait Marx, une absence totale de pratique authentique. Il n'en avait
pas besoin, étant, au moins autant qu'un Zellig Sabbetaï Harris, un Noam
Chomsky ou un Oswald Ducrot, l'expression vivante d'une vision parfaitement
cohérente du langage et de ses manifestations dans les langues. Une vision
autrement plus cohérente, plus complète, plus moderne, plus dynamique et
plus directement susceptible de déboucher sur une compréhension active du
comportement langagier, que la majorité de ce que l'on peut trouver dans
l'oeuvre des prédécesseurs, qu'il s'agisse du Cours de linguistique générale
ou d'autres oeuvres que la tradition enseignante en Europe et ailleurs a
érigées en référence. Quelque chose de comparable au génie du Mémoire sur le
système primitif des voyelles dans les langues indo-européennes.
L'apport de Maurice Gross à la linguistique française et à la linguistique
générale n'est pas banal. A l'instar de Carl von Linné et de Antoine Laurent
de Jussieu pour les espèces végétales ou de Lavoisier pour la chimie, il a
élaboré et expérimenté une méthode raisonnée de classement des unités
linguistiques qui a tout à la fois la cohérence et le brillant de ces
grandes analyses formelles qui donnent à l'esprit le sentiment d'embrasser
et de maîtriser toute la réalité et cette modeste minutie des entomologistes
qu'il est pratiquement imposible de prendre en défaut sur le détail d'une
observation. Il l'a fait avec une systématicité patiente et respectueuse des
données. Il fallait épuiser les paradigmes, ne sous-estimer aucune
propriété. Il fallait aussi voir ce que chaque langue avait de réellement
spécifique, comprendre par exemple, pourquoi la présence ou la variation
d'une préposition dans une langue comme le français rendait caduque une
analyse de l'anglais qui n'envisageait même pas qu'une préposition puisse
apparaître à cet endroit ou rendre compte de ce que devient une complétive
française en anglais ou en arabe selon l'analyse qu'elle a reçue en
français, en anglais ou dans toute autre langue; ou encore ce que la
sémantique de l'aspect ou des prédicats complexes produit en fonction du
classement lexical et grammatical qu'on a choisi de faire des verbes. Mais
ses analyses ponctuelles n'étaient pas des additions non cumulables de
remarques fussent-elles géniales. Elles s'inscrivaient toujours dans une
architecture. Il en a jeté les fondements, en a discuté des virtualités
essentielles et l'a dotée d'une panoplie d'outils qui sont devenus au fil du
temps le bien commun de tous les chercheurs au long cours dans les
linguistiques respectueuses des faits de langue. Pour y arriver, il a créé
en 1968 le Laboratoire d'Automatique Documentaire et Linguistique (LADL)
l'un des premiers sinon le premier véritable laboratoire de linguistique en
France et qui va devenir une équipe du CNRS autour d'un noyau
d'informaticiens et de linguistes: notamment Morris Salkoff ( Une grammaire
en chaînes du français ) , Jean-Paul Boons ("Métaphore et baisse de la
redondance"), Alain Guillet et Christian Leclère ("Le datif éthique"), et
pour les trois: La structure des phrases simples en français - 2 vol.). A
cette époque Maurice vient de publier avec André Lentin son fameux Notions
sur les grammaires formelles (1966), qui constitue la première référence
absolue en matière de traitement formel des langues et qui est d'ailleurs
immédiatement reconnu comme tel et traduit en anglais, allemand, russe,
japonais et espagnol, en même temps qu'il vient d'achever le rapport sur son
travail avec Z. S. Harris à l'Université de Pennsylvanie (octobre 1964 -
juin 1965) Transformational Analysis of French Verbal Constructions (1966 -
traduit en français en 1968 sous le titre Grammaire transformationnelle du
français: syntaxe du verbe). Il a également soutenu, à la Sorbonne, un
doctorat de 3ème cycle portant sur l'Analyse formelle comparée des
complétives en français et en anglais (1967). Il va s'employer à dresser une
carte du lexique et de la grammaire et du français. Ce lexique-grammaire
commence par le verbe et à l'intérieur du verbe par une analyse exhaustive
des constructions complétives où apparaît de façon claire l'interdépendance
de la classe sémantique du verbe, de sa construction syntaxique, de ses
conditions d'enchâssement et surtout de sa relation par le biais des
transformations infinitives et nominales avec la catégorie du nom et ses
problèmes de détermination, c'est-à-dire avec les constructions relatives.
Il ressort très vite de ce travail dont une partie importante est publiée
dans Méthodes en syntaxe 1975) qu'à condition de s'intéresser aux valeurs
différentielles dégagées par l'analyse, l'essentiel de la méthode et une
grande partie des descriptions sont transposables à n'importe quelle autre
langue que le français. Des travaux systématiques seront alors engagés dans
cette perspective sur pratiquement toutes les langues romanes mais aussi sur
des langues d'autres familles comme l'arabe, le coréen, le japonais, le
persan ou le russe. Parallèlement, Maurice découvre dès 1976 la propriété de
double analyse attachée à un type de construction qui fait d'un verbe ce que
l'on appellera plus tard un verbe support. Une propriété qui permet de
distinguer les verbes insérés dans un prédicat complexe de ceux qui
constituent un prédicat simple ayant en surface la même structure que le
prédicat complexe. Ce travail, dont on ne soulignera jamais assez le
caractère novateur et révolutionnaire marque le point de départ d'une
révision radicale de notre conception des catégories grammaticales et
notamment de la séparation traditionnelle entre les noms et les verbes. Il
ouvre également la voie à une révision de la notion même de prédication et
fournit les premiers éléments d'une inteprétation cohérente et à portée
universelle de la relation des constructions prépositionnelles - ou de leur
équivalent dans les langues où la notion de préposition n'est pas
pertinente - à la distribution des foyers sémantiques et informationnels au
sein de la phrase simple. Maurice fera en 1981, dans un article/livre "Les
bases empiriques de la notion de prédicat sémantique" (Langages n°63 -
septembre - 7-52) une synthèse magistrale de ces avancées, informées et
enrichies par les travaux sur plusieurs langues d'une équipe qui comptait
déjà à l'époque des dizaines d'enseignants-chercheurs sur les cinq
continents. Il n'y parle que du français mais, ainsi qu'en témoigne la
bibliographie, là encore, les valeurs différentielles qui président à
l'analyse du français sont transposables à de nombreuses autres langues.
C'est également sur cette lancée qu'il développera la notion de grammaire
locale et envisagera l'existence au sein d'une langue de sous-systèmes
quasiment autonomes
Esprit foncièrement libre, lucide et critique, Maurice n'a
jamais fait de concession intellectuelle à qui que ce soit et surtout pas
aux pouvoirs en place ou aux modes scientifiques. Son célèbre article de
Language en 1979, "On the failure of generative grammar" - il avait publié
un premier article en français dans le même sens en 1973 --, ses rapports
très sévères sur les limites de la traduction automatique -- il avait fait
partie d'un Centre de calcul des armées, dirigé par Aimé Sestier qui a été
le premier laboratoire français pour la traduction automatique -- ses
articles pour le moins critiques sur les méthodes en cours dans les analyses
sémantiques, sa critique des modèles d'analyse de la grammaire
traditionnelle dans l'enseignement du français, sa contestation du projet et
des méthodes adoptées pour la réalisation du Trésor de la langue française
ne lui ont pas fait que des amis et il a parfois été d'autant plus détesté
que personne n'était en mesure de lui opposer une contre-argumentation
globale qui tienne la route. Il a pu se tromper dans l'appréciation de telle
ou telle orientation mais son parcours scientifique est là pour témoigner
qu'il est de loin préférable de se tromper en exerçant son esprit critique
que d'avoir raison en se laissant bercer par le premier troupeau qui passe.
Maurice n'était pas plus tendre pour ses propres ambitions. Dès
1977, sa Syntaxe du nom puis en 1986, sa Syntaxe de l'adverbe montrent
clairement les limites de toute systématisation dans le traitement des
langues. Elles mettent l'accent sur des obstacles quasi insurmontables à une
formalisation intégrale et cohérente de phénomènes linguistiques d'une
grande banalité et qui ne dépassent pas le cadre de la phrase simple. Enfin,
sa traque systématique des constructions figées à partir des années 80 le
conduira à relativiser l'importance des phénomènes combinatoires et à
réduire quelque peu le champ d'application des interprétations
transformationnelles
Maurice aimait et savait apprécier la peinture, les journaux
sous toutes leurs formes, les villes grouillantes qui ne dorment jamais. Au
Caire il est parti seul dans le dédale des rues du petit peuple. Ravi de
toute cette vie qui venait à lui. Il ne parlait pas l'arabe mais en
connaissait parfaitement le fonctionnement. Dans le train, il aimait se
sentir tiré par l'arrière et s'asseyait toujours à contresens de la marche.
Il était souvent souriant. Il n'a jamais refusé d'aider un étudiant. Il ne
se laissait jamais aveugler par l'identité de son interlocuteur. Quand j'ai
rompu un jour une sorte de tabou en lui demandant son avis sur la crise
israélo-palestinienne, il a parlé avec une extrême douceur des Polonais et
des Russes qui étaient au pouvoir en Israël et qui avaient du mal à
comprendre l'avenir du fait de leur passé et d'un milieu qui leur était
étranger. C'était il y a vingt ans.
Je me souviens comme si c'était hier du jour où j'ai étalé sur
le sol de son bureau, dans les hauteurs de la tour centrale de Jussieu, les
interminables feuilles quadrillées sur lesquelles j'avais décomposé et
recombiné à l'infini les verbes de ses tables 2, 3, 9 et 13: mes premières
matrices analytiques de la communication et du mouvement. Une idée qui
m'était venue en l'écoutant un an plus tôt, par une après-midi torride, dans
un immense amphithéâtre clairsemé de Pise. Son regard amusé puis, au bout de
quelques instants, un flot de suggestions. Visiblement il préférait cela à
mes compilations d'opérateurs hiérarchisés pour expliquer les subtilités des
interprétations aspectuelles... Il y avait même matière à une thèse d'Etat. Il
ne fallait plus hésiter. Il voyait vite ce qu'il y avait à voir.
A l'issue de ma soutenance il m'a offert la traduction française
de la Grammaire arabe de C. P. Caspari dans son édition originale de 1881.
Mais Maurice c'était aussi, pour certains c'était surtout,
l'élaboration d'automates à états finis couplés à des dictionnaires
électroniques pour une analyse des textes. C'est aujourd'hui encore, l'un
des rares systèmes d'analyse morpho-syntaxique au monde qui soit disponible
en libre accès. Un outil performant, peut-être le meilleur qui ait été
réalisé à ce jour dans son genre, offert à la recherche et soustrait au
commerce.
C'est que ce grand lorrain, né le 21 juillet 1934 à Sedan,
ancien élève de Polytechnique (1955-1957), Ingénieur d'Armement, élève de
Noam Chomsky (1961-1962) et de Zellig Sabbetai Harris (1964-1965),
conférencier invité au MIT, à San Diego et à quelques Instituts de
linguistique de la Linguistic Society of America, auteur de plus de 150
publications en anglais et en français, directeur de quelques dizaines de
thèses, était aussi un grand serviteur de l'Etat français, un homme dévoué à
la chose publique: un modèle pour tous ceux qui, en France et dans le reste
du monde, par exemple dans un pays comme l'Egypte dont je viens, cherchent à
comprendre ce qu'ils sont à travers ce qui les définit comme êtres humains:
leur faculté de langage.
amr.ibrahim1 at libertysurf.fr <mailto:amr.ibrahim1 at libertysurf.fr>
33 6 62 00 09 57
5, rue Louis Léon Lepoutre 94130 Nogent-sur-Marne (France)
Amr Helmy IBRAHIM
Professeur de linguistique à l'Université de Franche-Comté
Habilité à diriger des thèses à l'Université de Paris XIII-Villetaneuse
Responsable de la Cellule de Recherche Fondamentale en Linguistique
Française et Comparée ( CRFLFC - composante de l'Équipe d'accueil
n° 2283 de l'Université de Franche-Comté).
5, rue Louis Léon Lepoutre 94130 Nogent-sur-Marne
Tel. 33 1 48 76 09 57 ou 33 6 62 00 09 57
Fax 33 1 48 00 09 42
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