Carnet: Deces de Claire Blanche-Benveniste
Thierry Hamon
thierry.hamon at UNIV-PARIS13.FR
Tue May 11 20:35:21 UTC 2010
Date: Mon, 10 May 2010 10:57:40 +0200
From: Sylvain Kahane <sylvain at kahane.fr>
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de la part de José Deulofeu
Claire Blanche-Benveniste est née à Lyon le 15 janvier 1935, dans une
famille où une double tradition Ashkenase, par sa mère, et Sepharade,
par son père, l'avait vue grandir aux accents mêlés du russe, du
yiddish, du grec, du judéo espagnol, du turc, du portugais. Mosaïque
linguistique, magnifiquement décrite dans un article écrit beaucoup
plus tard « langue du métèque et langue du savant », où à la diversité
des langues s'ajoutait la diversité de leurs usages : berçeuses de la
« nona », sa grand-mère bien aimée, mais aussi tradition savante de
l'aïeul érudit dont on trouve la trace dans des textes de la Catalogne
médiévale. Il n'y a pas à chercher plus loin la source de son intérêt
pour l'apprentissage simultané des langues et plus subtilement du
dévouement particulier avec lequel elle encadrait des étudiants qui
avaient appris le français en Chine, en Corée, au Japon, en Afrique,
ou aux Comores. C'est bien aussi dans la virtuosité des joutes
oratoires qui animaient sans nul doute cette foisonnante communauté
qu'il faut trouver la source à la fois de son intérêt passionné pour
la langue parlée, mais aussi de la sûreté de la connaissance intuitive
qu'elle en avait. A ce merveilleux terrain, il fallait ajouter du
savoir et de la méthode pour que la frêle adolescente heureusement
préservée de l'extermination qui s'acharna sur sa communauté devienne
une étudiante rayonnante dont la rigueur, la puissance de travail et
la créativité éblouissait ses maîtres et fascinait ses condisciples.
Elle a donc acquis une solide formation en philologie médiévale en
Langue d'oïl comme en langue d'OC (c'était aussi une spécialiste de
l'Ancien Provençal) sous la direction des maîtres les plus exigeants,
parmi lesquels Jean Boutière ou Robert-Léon Wagner. Elle y a ajouté
une maîtrise vite innovatrice des courants guillaumiens et
structuralistes qui prédominaient dans la Sorbonne des années 60 .
Agrégée de Lettres Modernes, Diplômée de l'Ecole pratique des hautes
études, Docteur es-lettres de L'université Sorbonne Nouvelle, elle
allait, à partir de là, construire une brillante carrière
universitaire. Après un an passé au Liban comme assistante où elle a
pris un contact charnel avec une méditerranée jusque là rêvée, elle a
occupé un poste d'Assistante à Lyon, puis à la Sorbonne, pour terminer
au grade de Professeur à la Classe Exceptionnelle à l'Université de
Provence, à Aix-en-Provence. Elle y était venue en 1964 , alors que la
Sorbonne lui tendait les bras, à l'appel et à l'admiration réciproque
de Jean Stefanini, pour former sous sa direction d'abord avec André
Chervel, puis avec d'autres espoirs de la linguistique française une
équipe d'exception qui a joué un rôle innovateur dans le développement
de notre discipline. Vers la fin d'une carrière exemplaire, elle a
cumulé son poste avec une Direction d'Etudes à l'Ecole Pratique des
Hautes études de Paris. Elle a enfin été nommée Professeur Emérite à
l'Université de Provence en 2000. Elle était Docteur honoris causa de
l'Université de Leuven et a Présidé la Société de Linguistique de
Paris, pour la quelle elle a rédigé quantité de rigoureux compte
rendus. Elle a été invitée à plusieurs reprises à donner des cours de
linguistique française et générale dans les universités étrangères les
plus prestigieuses des Etats-Unis, d'Europe et d'Amérique latine, sans
oublier Israël, où elle contribuait à maintenir l'excellence des
études françaises, injustement menacées, à son avis, par des
contraintes budgétaires locales et insuffisamment soutenues par la
politique linguistique de la France. Autorité reconnue dans son
domaine, y compris par des collègues qui pouvaient ne pas partager ses
points de vue, elle le fut d'abord par son talent pédagogique que l'on
retrouvait aussi dans sa grande maîtrise de l'exposé scientifique
qu'il soit oral ou écrit. Elle a ainsi dirigé un Département qui a
formé plus de 60 thésards, modestes étudiants de Lettres modernes à
leurs débuts, dont plus de la moitié continuent aujourd'hui son oeuvre
comme Maîtres de Conférences ou Professeurs dans des universités
françaises et étrangères. Elle a ainsi pleinement assumé, sans
démagogie, le double héritage de l'élitisme républicain et de la
démocratisation permise par la réforme du système universitaire issue
des mouvements de Mai 1968. Comme savant, elle a écrit ou dirigé huit
livres : l'Orthographe, avec André Chervel en 1969, dont le caractère
iconoclaste souleva de roboratives polémiques, Pronom et syntaxe en
1984 avec José Deulofeu et Karel Van den Eynde, Le français parlé:
édition et transcription avec Colette Jeanjean en 1987, Le français
parlé : études grammaticales en 1990 avec ses étudiants docteurs,
Recueil de textes de français parlé en 1995, avec Frédéric Sabio et
Christine Rouget, Approches de la langue parlée en 1997, qui sont
autant de références dans le domaine, Eurom 4 en 2003 avec entre
autres André Valli et un huitième en cours de publication, Le
français, Usages de la langue parlée, en collaboration avec Philippe
Martin. Ces ouvrages synthétisent la matière de plus de cent cinquante
articles publiés sous son nom ou en collaboration, caractérisés par la
finesse de l'intuition linguistique, l'intelligence et la profondeur
de l'argumentation. Elle a, de plus , conçu et dirigé la revue
Recherches sur le Français Parlé, qui a été la seule à diffuser cette
ligne de recherches de 1979 à 2001. A partir de cette spécialité, dont
elle avait été une des tout premières à comprendre l'intérêt pour le
développement de la science linguistique - au point que la recherche
sur la langue parlée est aujourd'hui un domaine largement exploré tant
par les théoriciens du langage que par les praticiens de son
traitement automatique - elle a, à l'écart de la recherche instituée,
mais au fil de rencontres où son pouvoir de séduction et de conviction
forgeaient de solides et enthousiastes collaborations, étendu son
activité à d'autres domaines de la linguistique : l'acquisition du
langage et de l'écriture , la prosodie, la langue des signes, la
sociolinguistique et enfin un domaine où enjeu politique et théorique
se rencontrent : l'enseignement simultané de langues voisines, avec
comme réalisation concrète la méthode EuRoM 4, utilisée dans de
nombreuses universités en Europe pour enseigner simultanément quatre
langues romanes.
La France avait reconnu ces éminents services en la faisant Chevalier
de la Légion d'honneur. Mais les témoignages de reconnaissance qu'elle
préférait étaient sans nul doute ceux que lui apportaient les nombreux
visiteurs, anciens étudiants, collègues ou simplement amis, qu'elle
accueillait avec une chaleureuse élégance dans son jardin d'Aix-en
Provence, où elle a fini sa vie parmi les fleurs que le Printemps
venait d'y faire éclore.
Claire Blanche Benveniste est morte le 29 avril à Aix-en-Provence.
Voir aussi : http://www.lemonde.fr/carnet/article/2010/05/07/claire-blanche-benveniste-linguiste_1348114_3382.html
Henri-José Deulofeu
UNIVERSITÉ AIX-MARSEILLE I
DEPT. LINGUISTIQUE FRANCAISE
29 AV. Robert Schuman
13621 Aix-en-Provence CEDEX
+33442953569
Henri.Deulofeu at univ-provence.fr
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