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[Florence Villoing]

Françoise Kerleroux nous a quittés le 4 février dernier. En quelques
semaines, une terrible maladie l’a emportée. Elle a à peine eu le temps de
découvrir les articles que ses collègues et amis lui ont offert dans
l’ouvrage qui lui est dédié, « Foisonnements morphologiques. Etudes en
hommage à Françoise Kerleroux » (PUPO).

Ancienne élève de l’Ecole Normale Supérieure et agrégée de Lettres
Classiques, elle a enseigné la linguistique à l’Université de Paris X –
Nanterre jusqu’à sa retraite en 2001 et était membre du laboratoire Modèles,
Dynamiques Corpus. Depuis le début de sa carrière universitaire, à la fin
des années 1960, Françoise a fortement contribué au développement du
Département de linguistique de l’Université de Nanterre. Elle s’est d’abord
intéressée à la sociolinguistique puis au développement de la grammaire
générative et a publié plusieurs articles dans le domaine de la syntaxe et
un manuel (en collaboration avec Annie Delaveau). A partir de la fin des
années 1980, elle a progressivement déplacé son centre d’intérêt vers la
morphologie dérivationnelle. Elle a été une des premières à suivre
l’approche élaborée par Danielle Corbin à Lille sur la morphologie du
français et le traitement du lexique. Elle a largement contribué, à travers
son enseignement et son engagement dans l’animation de la recherche, à la
renaissance des études de morphologie, délaissés par le programme
générativiste dominant à l’époque, en France et en Europe. Elle a également
joué un rôle de premier plan dans le développement scientifique et
institutionnel de la morphologie lexématique en France : elle a été parmi
les fondateurs du Forum de Morphologie, qui a eu lieu à Lille et à Toulouse
entre 1997 et 2002, a contribué à la création du GDR de morphologie du CNRS
(1999-2007) et a participé à plusieurs projets nationaux et internationaux,
dont celui qui a abouti à la réalisation de l’ouvrage Aperçus de morphologie
du français, qu’elle a co-édité avec Bernard Fradin et Marc Plénat en 2009.
Elle animait, il y a encore peu, à Nanterre, un séminaire de morphologie qui
continuait d’attirer de jeunes linguistes, en particulier morphologues et
sémanticiens.

Les sujets auxquels Françoise Kerleroux s’est intéressée sont multiples : de
l’apocope à la polymorphie des lexèmes, de la conversion à la sémantique des
noms déverbaux, de l’interaction flexion / dérivation à ce qu’elle appelait
la « distorsion catégorielle » dans l’emploi des mots. Sans oublier les
questions plus épistémologiques, et celles liées à l’articulation entre la
syntaxe et la morphologie. Plusieurs fils lient tous ces aspects de
l’activité de Françoise : l’attention minutieuse portée aux données, même
les plus étranges et résistantes à l’analyse, l’intérêt pour les usages non
conventionnels des mots, la rigueur scientifique, l’envie de remettre en
discussion, y compris en linguistique, les vérités établies, sa curiosité et
sa grande ouverture intellectuelle et humaine. Une ouverture qu’elle
pratiquait activement dans ses écrits, où une citation de Frege pouvait lui
servir à expliquer la sémantique des apocopes, et une photo de pêcheurs
estoniens, la structure argumentale des noms déverbaux. C’est cette leçon,
parmi toutes celles que nous avons reçues de Françoise, que nous voulons
retenir en particulier : l’art de pratiquer – comme elle le dit dans son
ouvrage le plus important, La coupure invisible, publié en 1996 – « la
démythologisation inhérente à toute recherche ». 

On se souviendra aussi de l’enthousiasme et du dynamisme de Françoise pour
le partage, intellectuel comme humain, de son goût de la collégialité, de sa
grande disponibilité et de son immense générosité. 

Fabio Montermini & Florence Villoing

 

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