D écès de Claire Blanche-Benveniste

Sylvain Kahane sylvain at KAHANE.FR
Mon May 10 08:49:15 UTC 2010


Claire Blanche-Benveniste est née à Lyon le 15 janvier 1935, dans une  
famille où une double tradition Ashkenase, par sa mère, et Sepharade,  
par son père, l'avait vue grandir aux accents mêlés du russe, du  
yiddish, du grec, du judéo espagnol, du turc, du portugais. Mosaïque  
linguistique, magnifiquement décrite dans un article écrit beaucoup  
plus tard « langue du métèque et langue du savant », où à la diversité  
des langues s'ajoutait la diversité de leurs usages : berçeuses de la  
« nona », sa grand-mère bien aimée, mais aussi tradition savante de  
l'aïeul érudit dont on trouve la trace dans des textes de la Catalogne  
médiévale. Il n'y a pas à chercher plus loin la source de son intérêt  
pour l'apprentissage simultané des langues et plus subtilement du  
dévouement particulier avec lequel elle encadrait des étudiants qui  
avaient appris le français en Chine, en Corée, au Japon, en Afrique,  
ou aux Comores. C'est bien aussi dans la virtuosité des joutes  
oratoires qui animaient sans nul doute cette foisonnante communauté  
qu'il faut trouver la source à la fois de son intérêt passionné pour  
la langue parlée, mais aussi de la sûreté de la connaissance intuitive  
qu'elle en avait. A ce merveilleux terrain, il fallait ajouter du  
savoir et de la méthode pour que la frêle adolescente heureusement  
préservée de l'extermination qui s'acharna sur sa communauté devienne  
une étudiante rayonnante dont la rigueur, la puissance de travail et  
la créativité éblouissait ses maîtres et fascinait ses condisciples.  
Elle a donc acquis une solide formation en philologie médiévale en  
Langue d'oïl comme en langue d'OC (c'était aussi une spécialiste de  
l'Ancien Provençal) sous la direction des maîtres les plus exigeants,  
parmi lesquels Jean Boutière ou Robert-Léon Wagner. Elle y a ajouté  
une maîtrise vite innovatrice des courants guillaumiens et  
structuralistes qui prédominaient dans la Sorbonne des années 60 .  
Agrégée de Lettres Modernes, Diplômée de l'Ecole pratique des hautes  
études, Docteur es-lettres de L'université Sorbonne Nouvelle, elle  
allait, à partir de là, construire une brillante carrière  
universitaire. Après un an passé au Liban comme assistante où elle a  
pris un contact charnel avec une méditerranée jusque là rêvée, elle a  
occupé un poste d'Assistante à Lyon, puis à la Sorbonne, pour terminer  
au grade de Professeur à la Classe Exceptionnelle à l'Université de  
Provence, à Aix-en-Provence. Elle y était venue en 1964 , alors que la  
Sorbonne lui tendait les bras, à l'appel et à l'admiration réciproque  
de Jean Stefanini, pour former sous sa direction d'abord avec André  
Chervel, puis avec d'autres espoirs de la linguistique française une  
équipe d'exception qui a joué un rôle innovateur dans le développement  
de notre discipline. Vers la fin d'une carrière exemplaire, elle a  
cumulé son poste avec une Direction d'Etudes à l'Ecole Pratique des  
Hautes études de Paris. Elle a enfin été nommée Professeur Emérite à  
l'Université de Provence en 2000. Elle était Docteur honoris causa de  
l'Université de Leuven et a Présidé la Société de Linguistique de  
Paris, pour la quelle elle a rédigé quantité de rigoureux compte  
rendus. Elle a été invitée à plusieurs reprises à donner des cours de  
linguistique française et générale dans les universités étrangères les  
plus prestigieuses des Etats-Unis, d'Europe et d'Amérique latine, sans  
oublier Israël, où elle contribuait à maintenir l'excellence des  
études françaises, injustement menacées, à son avis, par des  
contraintes budgétaires locales et insuffisamment soutenues par la  
politique linguistique de la France. Autorité reconnue dans son  
domaine, y compris par des collègues qui pouvaient ne pas partager ses  
points de vue, elle le fut d'abord par son talent pédagogique que l'on  
retrouvait aussi dans sa grande maîtrise de l'exposé scientifique  
qu'il soit oral ou écrit. Elle a ainsi dirigé un Département qui a  
formé plus de 60 thésards, modestes étudiants de Lettres modernes à  
leurs débuts, dont plus de la moitié continuent aujourd'hui son oeuvre  
comme Maîtres de Conférences ou Professeurs dans des universités  
françaises et étrangères. Elle a ainsi pleinement assumé, sans  
démagogie, le double héritage de l'élitisme républicain et de la  
démocratisation permise par la réforme du système universitaire issue  
des mouvements de Mai 1968. Comme savant, elle a écrit ou dirigé huit  
livres : l'Orthographe, avec André Chervel en 1969, dont le caractère  
iconoclaste souleva de roboratives polémiques, Pronom et syntaxe en  
1984 avec José Deulofeu et Karel Van den Eynde, Le français parlé:  
édition et transcription avec Colette Jeanjean en 1987, Le français  
parlé : études grammaticales en 1990 avec ses étudiants docteurs,  
Recueil de textes de français parlé en 1995, avec Frédéric Sabio et  
Christine Rouget, Approches de la langue parlée en 1997, qui sont  
autant de références dans le domaine, Eurom 4 en 2003 avec entre  
autres André Valli et un huitième en cours de publication, Le  
français, Usages de la langue parlée, en collaboration avec Philippe  
Martin. Ces ouvrages synthétisent la matière de plus de cent cinquante  
articles publiés sous son nom ou en collaboration, caractérisés par la  
finesse de l'intuition linguistique, l'intelligence et la profondeur  
de l'argumentation. Elle a, de plus , conçu et dirigé la revue  
Recherches sur le Français Parlé, qui a été la seule à diffuser cette  
ligne de recherches de 1979 à 2001. A partir de cette spécialité, dont  
elle avait été une des tout premières à comprendre l'intérêt pour le  
développement de la science linguistique - au point que la recherche  
sur la langue parlée est aujourd'hui un domaine largement exploré tant  
par les théoriciens du langage que par les praticiens de son  
traitement automatique - elle a, à l'écart de la recherche instituée,  
mais au fil de rencontres où son pouvoir de séduction et de conviction  
forgeaient de solides et enthousiastes collaborations, étendu son  
activité à d'autres domaines de la linguistique : l'acquisition du  
langage et de l'écriture , la prosodie, la langue des signes, la  
sociolinguistique et enfin un domaine où enjeu politique et théorique  
se rencontrent : l'enseignement simultané de langues voisines, avec  
comme réalisation concrète la méthode EuRoM 4, utilisée dans de  
nombreuses universités en Europe pour enseigner simultanément quatre  
langues romanes.

La France avait reconnu ces éminents services en la faisant Chevalier  
de la Légion d'honneur. Mais les témoignages de reconnaissance qu'elle  
préférait étaient sans nul doute ceux que lui apportaient les nombreux  
visiteurs, anciens étudiants, collègues ou simplement amis, qu'elle  
accueillait avec une chaleureuse élégance dans son jardin d'Aix-en  
Provence, où elle a fini sa vie parmi les fleurs que le Printemps  
venait d'y faire éclore.

Claire Blanche Benveniste est morte le 29 avril à Aix-en-Provence.

Voir aussi : http://www.lemonde.fr/carnet/article/2010/05/07/claire-blanche-benveniste-linguiste_1348114_3382.html

Henri-José Deulofeu
UNIVERSITÉ AIX-MARSEILLE I
DEPT. LINGUISTIQUE FRANCAISE
29 AV. Robert Schuman
13621 Aix-en-Provence CEDEX
+33442953569
Henri.Deulofeu at univ-provence.fr





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