De l'Excellence

Léda Mansour lmansour at FREE.FR
Sat Dec 11 21:29:22 UTC 2010



POLITIQUES 02/12/2010 À 00H00

L’excellence, ce faux ami de la science



Par PHILIPPE BUTTGEN Chercheur au CNRS, BARBARA CASSIN Chercheur au CNRS


L’ «excellence» est en train de tuer la science. Primes d’excellence, chaires
d’excellence, équipements d’excellence, laboratoires d’excellence, initiatives
d’excellence, périmètres d’excellence, pôles d’excellence. Attention, un
«laboratoire d’excellence» n’est pas un laboratoire, c’est un monceau de
laboratoires qui obéit à une logique de pouvoir maquillée en logique
scientifique : la logique d’excellence. La manière forte a échoué ; ce dont le
pouvoir ne voulait plus est toujours là. La manière douce va peut-être réussir.
On finance, on arrose, en perpendiculaire aux anciennes structures, et on
empile.

Prenons l’appel à projets qui promet des «initiatives d’excellence» pour les
universités françaises. C’est à l’occasion d’un emprunt d’Etat, le «grand
emprunt», à peu près aussi grand que notre président. Nous lisons des phrases
insensées en novlangue, comme celle-ci : «Une Initiative d’excellence assure la
promotion et le développement d’un périmètre d’excellence et impulse autour de
lui une dynamique de structuration du site par la mise en œuvre d’actions de
recherche et de formation innovantes dans le cadre d’une gouvernance rénovée et
performante.» Le bégaiement revient dans la célébration infantile du «niveau» :
«Les candidatures, qui seront évaluées par un jury international de très haut
niveau, devront faire la démonstration de leurs forces actuelles, mais également
de leur niveau d’ambition pour l’avenir et de leur capacité à mettre en œuvre
leur stratégie.»

Abîmes de l’intelligence gouvernementale : Valérie Pécresse confiait récemment à
Libération que «l’excellence, c’est le meilleur». L’excellence est le nom d’un
truisme énorme et d’un désastre scientifique. De très bons laboratoires,
d’excellents laboratoires, se sont déchirés, ont dissous leurs équipes, changé
leurs programmes, exclu des chercheurs, en ont débauché d’autres, rien que pour
entrer dans un «laboratoire d’excellence». Pour le beau titre de «Pôles
d’excellence», les universités se regroupent dans des monstres d’inefficacité
qui n’ont rien à envier aux combinats de jadis. Les projets qu’elles rédigent
ont la grâce d’un dictionnaire des idées reçues, on y parle de nanotechnologies
et des défis du futur, des mots qui plaisent aux sous-préfets.

Tout cela se passe depuis moins de six mois, sous l’attentive férule des
ministères, dans une panique et une opacité jamais vues : six mois pour
préempter dix ans de recherche ; dix ans de hiérarchies figées. L’excellence
s’expédie. Peu importe que les excellents d’aujourd’hui ne le soient pas demain.
Ce qui compte, c’est que le pouvoir ait la haute main sur l’excellence. Les
experts, les jurys, les critères et les grilles n’ont aucune importance ;
personne ne fait semblant d’y croire. L’excellence se décrète là où il convient.
On sait déjà à peu de chose près qui seront les heureux gagnants. La France
sarkozyste est un pays où l’agitation du pouvoir crée la qualité de la science.
Les scientifiques, transformés en hommes de dossiers inutiles pleins de work
package,track records, deliverables et dissemination, désespèrent, tandis que
les officines de rédaction, traducteurs en globish et consultants managers,
prospèrent.

L’excellence est un nom de code. On parlait déjà de plans sociaux pour ne pas
parler de licenciements. L’euphémisme évolue. Il adopte maintenant le superlatif
: excellent, le meilleur. Mais il ne s’agit jamais d’identifier des
singularités, où qu’elles soient. Il s’agit de virer le grand nombre, downsizer.
L’excellence est le plan social de la science.

La panique du grand emprunt part d’une histoire longue, celle de la mise en
coupe de l’université européenne par l’«économie de la connaissance». On a
persuadé les chercheurs et les universitaires qu’ils n’ont pas d’autre choix que
de répondre à ces appels à projets qui opèrent, comme à l’école, comme à
l’hôpital, comme ailleurs, la restructuration-déstructuration de leur milieu de
travail. Quand vous n’avez plus rien ou presque depuis longtemps, la loterie est
votre dernier espoir. Bien sûr, la loterie appauvrit le gros des joueurs. Déjà,
dans les laboratoires et les universités, les budgets baissent et les faillites
commencent. Il faut rembourser un emprunt dont les revenus n’ont pas encore été
versés. Les perdants de l’excellence cotisent pour les gagnants.

Ce qui est maintenant en cause, c’est notre métier de chercheurs et l’idée que
nous nous en faisons. Ceux qui ânonnent «l’excellence, c’est le meilleur», ceux
qui nous font remplir à longueur de journée des grilles encore plus verrouillées
qu’eux, ceux-là ont-ils quoi que ce soit à nous dire de la science ? Quel
rapport entre leur excellence et le travail, la découverte, la rigueur,
l’ouverture, l’esprit et l’invention ? Combien de temps continuerons-nous à ne
plus faire ce à quoi nous consacrons nos vies ?
_______________________________________________
-------------- next part --------------
An HTML attachment was scrubbed...
URL: <http://listserv.linguistlist.org/pipermail/parislinguists/attachments/20101211/b1924a35/attachment.htm>


More information about the Parislinguists mailing list